Les Kuzimu Walinza (v2)

Nouvelle de 500 mots : Un homme, poussé par sa curiosité, ouvre une porte d'obsidienne interdite qui libère une force meurtrière.

Les Kuzimu Walinza (v2)

Il gît dans une mare de sang, rattrapé dans sa fuite à quelques pas de l’entrée du village.

Je l’avais rencontré une semaine plus tôt. C’était le seul guide du Nchi Kongwe qui avait accepté de me mener ici. Il m’avait confié dans un murmure :

— On dit des choses sur eux… Faut être toqué ou désespéré pour se rendre sur leurs terres…

Il appartenait à la seconde catégorie : il n’avait accepté qu’en échange d’un salaire indécent. Tout comme moi d’ailleurs. Le consortium Perséphone avait une sale réputation, mais ils avaient les moyens et moi besoin d’argent.

Je franchis l’enceinte du village. Les lourdes portes de bois sont à terre. Les gonds métalliques qui les soutenaient ont été pulvérisés.

Le gratte-papier à l’allure de hyène qui m’avait débauché ne m’avait pas préparé à cela. Il m’avait simplement dit ceci :

— La tribu des Kuzimu Walinza possède le volcan et ses environs. Pour des raisons… archéologiques, nous souhaitons obtenir un accès exclusif à son cratère. Malgré tous nos efforts, le gouvernement refuse de nous confier leurs terres. Vous devrez donc négocier la concession directement avec eux.

Un guerrier est empalé sur sa propre lance. Sa cape pourpre claque au vent. Son visage est figé dans un rictus de terreur. Ses orbites sont vides.

C’était l’un de ceux qui m’avaient accueilli chaleureusement dans ce village traditionnel de torchis et de bois. La tribu ne voyait que rarement des blancs. Ils étaient curieux et amicaux. Mais les négociations avec la matriarche, une vieille femme aux yeux injectés de sang et aux seins pendants, avait été une pure perte de temps. Le dialecte qu’elle partageait avec mon guide était limité. L’échange avait été frustrant. La seule réponse qu’elle répétait inlassablement à mes demandes était : “rien n’entre dans le volcan, rien ne sort du volcan”.

La matriarche est crucifiée par de longues épines noires et fumantes au mur de sa propre case. Sa cage thoracique se soulève encore faiblement. Alors que je m’approche, elle entrouvre les yeux et me toise. D’un regard accusateur, elle désigne le centre du village. Puis elle pousse son ultime soupir.

La veille, la tribu s'était réunie pour fêter le passage de trois jeunes guerriers à l’âge adulte. À la faveur de la nuit, j’avais faussé compagnie à mes hôtes. Ignorant l’interdit, ma curiosité et ma mission m’avaient conduit jusqu’au cratère.

Au centre du village, sous un nuage de mouches bourdonnantes, se trouve un charnier sanglant. Les trois jeunes guerriers, les femmes, les enfants… Tous sont là.

Dans le cratère se trouvait une grotte. Dans cette grotte se trouvait une porte d’obsidienne. Elle était sculptée d’une fresque indéchiffrable dans la nuit. De tout mon poids, j’avais entrouvert un des imposants vantaux. Un vent chaud et fétide s’était échappé des entrailles de la terre accompagné d’un hurlement qui m’avait glacé le sang.

Il n’y a plus âme qui vive dans ce village.

Dans ma fuite, j’avais remonté à grandes enjambées le versant du cratère. Mon pied avait glissé sur une racine. Ma tête avait heurté une pierre. Je ne m’étais réveillé qu’au petit jour.

Mais qu’ai-je fait ?

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