Maîtriser le rythme et la tension dramatique avec la structure scène/séquelle

Maîtriser le rythme et la tension dramatique, c'est la garantie de captiver son lecteur. Et la structure scène/séquelle est l'outil idéal pour contrôler ces deux facteurs.

Maîtriser le rythme et la tension dramatique avec la structure scène/séquelle

Préambule

Après 29 jours d'écriture quotidienne (je tiens un habit tracker pour l'écriture et le sport depuis le début de l'année, mens sana in corpore sano), un nouveau round de turborhume ++, courtoisie de mes bambins adorés, m'a forcé à une pause de quatre jours. Mais une fois encore, c'est reparti, et avec beaucoup de motivation !

Dans ce billet, je vais vous parler de la structure scène/séquelle. Cela va me permettre, dans la foulée, de vous présenter le découpage de ma nouvelle rags to riches effectué avec cette technique et qui est quasiment achevé.

Techniques of the Selling Writer de Dwight V. Swain

La structure scène/séquelle a été formalisée par Dwight V. Swain dans son ouvrage Techniques of the Selling Writer (un des meilleurs manuels existant pour l'écriture de fiction). Elle a depuis été reprise par beaucoup d'auteurs. Personnellement, je l'ai découverte dans How to Write a Dynamite Scene de Randy Ingermanson et je l'ai travaillée aux Artisans de la Fiction. Mais sans plus attendre, entrons dans le vif du sujet !

Structure d'une intrigue et tension dramatique fractale

Dans une histoire, on trouve une intrigue principale et éventuellement des intrigues secondaires. Les intrigues sont constituées d'un début, d'un milieu et d'une fin. Peut-être avez-vous déjà vu ce genre de diagramme ?

Tension dramatique au cours d'un récit.

Ce diagramme représente la structure universelle d'une intrigue. Vous la retrouverez dans une écrasante majorité des histoires, qu'elles soient actuelles ou anciennes (voir très anciennes comme dans la Mythologie). La courbe désigne la tension dramatique. On commence au plus bas pour l'exposition des éléments de l'histoire. Puis la tension dramatique va crescendo jusqu'au Climax, moment où tout se déchaîne. Et enfin, la tension redescend jusqu'à son niveau le plus bas pour le dénouement de l'histoire. Le diagramme est donc découpé en trois parties : le début, le milieu et la fin. C'est la structure en trois actes. On la retrouve toujours derrière les structures plus détaillées, comme dans les 12 stages of the Hero's Journey de Christopher Vogler ou dans la structure de K.M. Weiland.

Ce qui est intéressant avec cette courbe de tension dramatique, c'est que l'on peut considérer qu'elle est fractale.

Fractale de Mandelbrot
"Une figure fractale est un objet mathématique qui présente une structure similaire à toutes les échelles" Wikipédia

Notre fractale de tension dramatique représente donc la structure globale de l'intrigue.

Mais une intrigue est sous-divisée en étapes, chacune se suivant pour faire avancer l'intrigue. Ces étapes sont également constituées d'un début, d'un milieu et d'une fin, et à leur échelle, la tension dramatique suit le même schéma.

Si l'on continue de sous-diviser, on finit par descendre à l'échelle du paragraphe. Ce dernier va représenter une simple action ou un simple événement, et ce dernier sera également composé d'un début, d'un milieu et d'une fin : le personnage veut faire quelque chose, il essaie (trois fois, c’est un bon nombre de tentatives) et à la fin, ça ne marche pas.

Jouer ainsi avec la tension dramatique permet de captiver le lecteur, cet aller-retour crescendo va le tenir en haleine. Lorsque la tension est maximale, à l'approche du climax donc, c'est elle qui va l'empêcher de reposer son livre et le poussez à aller jusqu'au bout.

Le duo scène/séquelle est un outil qui permet précisément de travailler la tension dramatique à l'échelle de l'étape (une sous-division de l'intrigue si vous avez suivi).

Scène ou scène proactive

Dwight V. Swain définit une scène, ou scène proactive, comme étant une unité de conflit. John Gardner, quant à lui, donne son ouvrage The Art of Fiction la définition suivante : an unbroken flow of action without a lapse of time or leap from one setting to another.

La définition de Dwight V. Swain, une unité de conflit, nous indique que la scène est centralisée sur un conflit. Les conflits, dans une histoire, permettent de faire avancer l'intrigue. L'élément identitaire fondamental de la scène est donc la manière dont elle fait progresser l'intrigue.

La définition de John Gardner donne, elle, plutôt des limites "physiques" à la scène : cette dernière est caractérisée par une unité de temps et de lieu. Lorsqu'on change d'endroit ou bien que l'on fait un saut dans le temps, on change de scène. Mais, comme toujours, il peut y avoir des exceptions. On peut très bien imaginer une scène "accélérée" qui exposerait un conflit sur une longue échelle de temps et sur plusieurs lieux.

Une scène est composée de trois parties clés : objectif, conflit et désastre.

Objectif

Le protagoniste d'une histoire a un objectif à atteindre (sauver le royaume, venger sa famille, conquérir le cœur de quelqu'un, etc.). Cet objectif, pour que l'histoire fonctionne, doit être un objectif au long court, ambitieux, périlleux, et comporter des enjeux. Sans cela, l'histoire risque d'être brève et/ou ennuyeuse.

Cet objectif ambitieux ne peut donc pas être atteint en une seule fois, en une seule scène. Pour l'atteindre, le protagoniste va devoir se fixer une succession de sous-objectifs, dont la réalisation, cette fois, est, ou plutôt semble, à portée de main. La scène sert à montrer la tentative de résolution d'un de ces sous objectifs.

Avoir des sous-objectifs est important, ils forcent le personnage à être proactif. Mais pour que ces derniers soient utiles, ils doivent impérativement faire progresser l'intrigue. Petit rappel : dans une histoire, la règle dit que tout ce qui ne sert pas à faire progresser l'intrigue doit être supprimé. C'est le principe du fusil de Tchekhov.

« Supprimez tout ce qui n'est pas pertinent dans l'histoire. Si dans le premier acte vous dites qu'il y a un fusil accroché au mur, alors il faut absolument qu'un coup de feu soit tiré avec au second ou au troisième acte. S'il n'est pas destiné à être utilisé, il n'a rien à faire là. » Anton Tchekhov
Portrait d'Anton Tchekhov

Tout comme l'objectif principal, ces sous-objectifs, ou objectifs d'une scène doivent être ambitieux, périlleux, et avec des enjeux. Si c'est trop facile, ça risque d’être ennuyeux pour le lecteur.

Enfin, dernière règle, chaque nouveau sous-objectif, ou objectif d'une scène, doit avoir un enjeu supérieur au précédent. Au début, le protagoniste risque un ongle, puis une fracture, un doigt, un bras, et à la fin, au climax, il risque sa vie. La progression de cet enjeu fait monter la tension dramatique de l'intrigue.

Conflit

Comme dit précédemment, on ne veut pas que notre protagoniste atteigne son objectif trop facilement, sinon ce n'est pas drôle. Le conflit va représenter tout ce qui va, au cours de la scène, empêcher le protagoniste d'arriver à ses fins.

Le conflit est donc constitué d'obstacles que le protagoniste va devoir affronter. Ces obstacles peuvent être externes, comme une porte verrouillée, un rival en amour faisant une démo de breakdance particulièrement impressionnante, un brigand armé avec de très mauvaises intentions. Ces obstacles peuvent également être internes, comme la manifestation d'une phobie, d'un traumatisme ou d'une très mauvaise habitude.

Un bon obstacle va jouer sur les deux plans et venir titiller les faiblesses et les défauts du protagoniste. Indiana Jones a peur des serpents, il va donc devoir affronter des serpents à un moment ou un autre. C'est en poussant le personnage dans sa zone d'inconfort que l'on obtient l'empathie du lecteur.

Les Aventuriers de l'arche perdue de Steven Spielberg

Le protagoniste va devoir se confronter à chacun des obstacles que l'auteur lui a concoctés. Mais il ne va pas nécessairement tous les déjouer, et ceci est au cœur même de la dernière partie.

Désastre

Notre protagoniste avait un objectif et un plan en béton pour l'atteindre. Il a rencontré des obstacles, qu'il a déjoués ou contournés péniblement. Mais voilà, s’il réussissait tout le temps tout ce qu'il entreprenait, il n’en serait pas là où il est aujourd’hui et il n'y aurait pas d'histoire à raconter.

À la fin de la scène arrive donc un dernier obstacle, un dernier problème plus important que tous les autres, et celui-ci, notre protagoniste va se le manger dans les dents.

En effet, dans la grande majorité des scènes, le protagoniste va faire face à un désastre et va échouer à atteindre son objectif. Ou alors s’il y arrive, il va se retrouver avec un nouveau problème, encore plus gros que celui qu’il avait précédemment. Cet enchaînement de déconvenues est également une des clés pour faire monter la tension dramatique.

Vous avez probablement tous en tête le dernier passage d'un chapitre avec un violent plot-twist à base de personnages aimés impitoyablement étripés ou se révélant traître depuis le début. Red Rising de Pierce Brown est un cas d'école sur ce point, avec une succession de désastres particulièrement violents et déstabilisants pour le lecteur qui vont le tenir en haleine, ce qui est bien, je vous le rappelle, l'objectif derrière tout ça. Ces retournements de situation gardent le lecteur engagé. Ils lui donnent envie de rester scotché au bouquin pour découvrir la suite immédiatement.

Red Rising de Pierce Brown

Plus on avance dans l'histoire, et plus les désastres seront violents pour le protagoniste. Il doit être poussé dans ses retranchements. Plus il est vulnérable, plus il va devoir se remettre en question. Et l’on veut que notre personnage se remette en question, on veut qu'il évolue au cours de l'histoire. C’est là qu'intervient le deuxième élément du duo scène et séquelle : la séquelle.

Séquelle ou scène réactive

Dwight V. Swain définit une séquelle, ou scène réactive, comme une unité de transition liant deux scènes. À ne pas confondre donc avec une séquelle signifiant "la suite d'une histoire existante”. Dwight V. Swain ajoute ceci : a sequel functions is to translate a disaster into a goal, telescope reality, and control tempo.

L'objectif principal de la séquelle est donc de transformer le désastre de la scène à laquelle il succède en un objectif pour la scène suivante. Pour cela, la séquelle est une séquence focalisée sur le protagoniste où ce dernier va, dans l'ordre, réagir (émotionnellement) au désastre qu'il vient de traverser, analyser la situation et confronter des solutions, puis se fixer un nouvel objectif. Ainsi, de manière analogue à la scène, la séquelle est composée de trois parties clés : la réaction, le dilemme et la décision.

Avant de décrire ces trois étapes, petite précision supplémentaire : la forme des séquelles peut fortement varier.

La séquelle peut parfois consister en une seule phrase à la fin ou au début d'une scène proactive. Un tel enchaînement aura pour effet d'augmenter le rythme de l'histoire (control tempo). Avec le même effet, une séquelle peut être interrompue par une nouvelle scène d'action. Ceci, en plus d'augmenter le rythme, ajoutera également de la tension puisque le personnage n'aura pas eu le temps de digérer ce qu'il vient de se passer.

Au contraire, une séquelle longue qui prend le temps d'exposer les émotions et les réflexions du personnage aura pour effet de ralentir le rythme de l'histoire. Une chose à retenir dans tout ça : ralentir le tempo après un moment de tension intense (par exemple après un plot twist particulièrement sanglant) permet de donner au lecteur le temps de souffler un peu. Mais plus on approche du climax et moins l'histoire doit ralentir. Attention cependant, si l'histoire est trop intense, on prend le risque de surcharger le lecteur (chacun a son propre seuil de tolérance) et ce dernier n’aura d’autre choix que de lâcher le bouquin pour pouvoir souffler (c’est du vécu avec Red Rising de Pierce Brown).

Réaction

La première étape clé est donc la réaction. Le protagoniste réagit au désastre qu'il vient de traverser. On attend une réaction émotionnelle, instinctive, à chaud. Idéalement, il ne faut pas se contenter d'écrire noir sur blanc les pensées du personnage. Le fameux show don't tell s'applique ici : les émotions plutôt que d'être simplement écrites doivent se matérialiser physiquement. Le personnage tremble, pleure, hurle, s'arrache les cheveux, etc. On peut même jouer sur l'environnement pour accentuer le côté dramatique (genre pleurs + pluie, colère + orage, des associations qui donnent des scènes épiques).

De la pluie est des pleurs pour une scène à l'impact dévastateur. Le Garçon au pyjama rayé de Mark Herman

La réaction du personnage doit mettre en exergue ses peurs et ses faiblesses. Il s'expose et cela permet aux lecteurs de s'attacher ou de s'identifier. Pour cette réaction, le lecteur doit sympathiser avec un personnage, ou le haïr ! N’importe pourvu qu’il ressente quelque chose (l’ennui, ça ne compte pas).

Dilemme

Le personnage a digéré le désastre de la scène précédente. Maintenant, il doit définir un nouveau plan d'action, trouver un nouveau sous-objectif pour se rapprocher de son grand objectif.

Notre personnage va probablement trouver plusieurs solutions, sans qu'aucune ne soit parfaite. Chacune aura ses inconvénients et ses avantages, mais surtout, certaines le conforteront dans ses faiblesses, ses peurs et ses défauts, alors que d'autres au contraire, le forceront à sortir de sa zone de confort. Plus le choix est difficile pour le personnage, plus ce sera captivant pour le lecteur. Attention toutefois à ce que cela reste cohérent avec le personnage et son univers.

Ce passage peut prendre la forme d'un monologue interne ou d'un dialogue entre plusieurs personnages. C'est le bon moment pour distiller aux lecteurs des informations de worldbuilding ou de backstory des personnages. En effet, quand ces informations sont données dans une scène d'action, elles risquent de la rendre moins captivante (moins grave au début de l'histoire, plus grave à l'approche du climax).

Décision

Dernière étape clé, le protagoniste doit choisir son nouvel objectif. Ce choix, qui va venir clôturer le dilemme précédent, ne doit pas être facile.

Je vous ai dit juste avant que, parmi les plans potentiels du protagoniste, certains le confortaient dans ses faiblesses/peurs/défauts alors que d'autres le sortaient de sa zone de confort. Pour simplifier grossièrement :

On nomme cette évolution l'arc transformationnel d'un personnage. C'est une notion assez longue à expliquer, alors je me contenterai de vous dire pour le moment que, dans une histoire, le principal problème du protagoniste est, en général, lui même. Tout le but de l'histoire est donc de lui faire traverser des épreuves pour le faire évoluer jusqu'à ce qu'il arrive à résoudre par lui-même ses problèmes.

Quelle que soit la décision prise par le protagoniste, celle-ci doit faire progresser l'intrigue. Elle doit impliquer des risques, de futurs conflits et l'enjeu doit être croissant. La tension doit monter ! Ces éléments contribuent à garder l'attention du lecteur. Encore une fois, le lecteur doit avoir envie de connaître la suite immédiatement.

Une décision de fin d'histoire dont l'enjeu est maximal. Le retour du Roi de Peter Jackson

Maintenant que la décision est prise, la prochaine scène va pouvoir commencer avec son nouvel objectif. La boucle est bouclée.

Scène et séquelle en duo

Vous souvenez-vous de la courbe de la tension dramatique au début du billet ?

Tension dramatique au cours d'un récit, bis.

Est-ce que vous voyez maintenant comment l'enchaînement scène/séquelle vient coller à la courbe ? La scène correspond aux deux premiers tiers. L'objectif correspond à l'exposition, la montée correspond au conflit et le désastre au climax. La séquelle, elle, correspond au dernier tiers. La réaction émotionnelle correspond à la baisse de la tension dramatique, et enfin, le dilemme et la décision viennent clôturer la courbe.

La structure de base correspond à une scène suivie d'une séquelle. Mais évidemment, cette proportion peut être modifiée pour les besoins de l'histoire. Cette proportion dépend d'ailleurs beaucoup du genre. La romance ou les histoires d'enquête, par exemple, font la part belle aux étalages d'émotions et réflexions du personnage, elles vont donc naturellement comporter des séquelles régulières et plus longues. Au contraire, les histoires centrées sur l'action ou l'aventure vont comprendre plus de scènes et parfois sauter complètement certaines séquelles (ou les résumer en une phrase).

Dans le même esprit, les frontières entre scène et séquelle peuvent parfois être plus floues, par exemple pour les passages de résolution de problèmes dans les récits d'enquêtes. Dans un autre registre, quand l'histoire suit plusieurs personnages, on peut avoir plusieurs scènes de suite du POV des différents personnages, ou même une scène avec deux personnages, suivi d'une séquelle pour chacun. Bref, pas de règle à ce niveau-là, il faut trouver ce qui marche pour l'histoire.

Maîtriser l'enchaînement scène et séquelle permet de maîtriser le rythme de son histoire et la tension dramatique. Ces éléments permettent à leur tour de captiver le lecteur. Maîtriser ces éléments est donc une compétence essentielle pour un auteur. Heureusement, cela se travaille avec de la théorie, beaucoup de pratique et idéalement avec les retours critique de ses bêta-lecteurs. Notez par ailleurs que cette structure n'est pas exclusive aux histoires écrites, ça marche pareil pour les films et les séries. Mais n'oubliez pas que la narration n'est pas une science exacte (ou pas encore, ce qui est une bonne chose).

Quelques éléments à garder en tête :

Épilogue

Ce billet était, tout comme le précédent, très intéressant à écrire. J'espère qu'il l'est tout au temps à lire. Avec ces éléments en tête, je vais pouvoir, comme indiqué dans le préambule, vous présenter le découpage en scènes et séquelles de ma future nouvelle rags to riches. Le travail est presque terminé, cela ne devrait donc pas trop tarder.

Si vous êtes encore là, merci de m'avoir lu :-)

Fin.

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